Semaine de culture scientifique du 17 au 21 janvier 2017
PORTRAITS DU TEMPS
Temps de lecture : 3 minutes
Écrit par Arthur Jeannot
Au temps pour l’histoire
Caroline Le Mao étudie l’histoire moderne à l’université Bordeaux Montaigne et évoque sa confrontation au temps en tant qu’enseignante-chercheure et historienne.
Quels sont vos sujets de recherche ?
Je suis maître de conférences en histoire moderne, c’est-à-dire la période allant du XVIe au XVIIIe siècle, mais j’étudie plus particulièrement le XVIIe siècle et le règne de Louis XIV. Actuellement, mon travail de recherche porte plus précisément sur les années 1688 à 1697, qui correspondent à la guerre de la Ligue d’Augsbourg.
Comment gérez-vous le temps au quotidien en tant qu’enseignante-chercheure ?
J’ai une expérience assez contrastée, car je termine cinq ans de délégation à l’Institut universitaire de France. Mon rapport au temps a ainsi été très différent de celui d'un enseignant-chercheur habituel, ayant eu le bonheur de pouvoir consacrer beaucoup d’efforts à mes recherches, sans perdre le contact avec mes étudiants, J’étais alors déchargée des deux tiers de mon enseignement. Cette période m’a permis notamment de « sortir de la fac » afin d’effectuer des missions de recherche sur le terrain, surtout des enquêtes plus approfondies dans des dépôts d’archives. Depuis la rentrée, je n’ai pas moins de 250 heures de cours auxquelles il faut ajouter celles consacrées à la gestion administrative, au montage de projet de recherche…
Et en tant qu’historienne, comment devez-vous appréhender la question du temps ?
Pour une historienne, le rapport au temps est essentiel, et l’un des premiers dangers est celui de l’anachronisme. Il faut éviter de juger le passé avec le regard de son époque, même si l’historien est d’abord de son temps. Il est aussi frappant de constater qu’on voit émerger parfois simultanément, et sans concertation, des sujets convergents, preuve d’un intérêt du moment pour telle ou telle thématique. Par exemple, je me suis lancée dans une recherche sur les fournisseurs dans la marine de guerre. Or, au moment même où je commençais, je me suis aperçue que ce type de thématique commençait à intéresser fortement les chercheurs. Actuellement, il y a un regain d’intérêt pour l’histoire maritime de l’époque moderne.
La périodisation, c’est-à-dire le découpage de l’histoire, est aussi sujet à réflexion notamment dans le cadre de nos enseignements. Il existe des périodes canoniques : histoire ancienne, histoire médiévale, histoire moderne, histoire contemporaine, chacune ayant des « frontières ». J’aime justement faire réfléchir les étudiants sur le sens de ces limites. Prenons l’exemple de la Révolution française. Elle peut être vue comme rupture. Cela a du sens politiquement voire économiquement, même si c’est essentiellement à l’échelle de la France. Mais sur le plan de l’histoire démographique ou de l’histoire rurale, c’est une rupture qui n’a du sens qu’à la marge. Dans nos réflexions, il y a un intérêt pour transgresser de telles barrières chronologiques.
Comment le temps peut-il s’immiscer dans vos recherches ?
L’une des démarches de l’historien est d’appréhender un même phénomène en faisant varier les échelles de temps. Il y a quelques années, j’avais écrit un article à propos de la Fronde bordelaise (1), Bordeaux ayant été le second foyer frondeur en France de 1649 à 1653 (2). La démarche de mon article était de relier l’événement à des échelles de temps différentes. Avec une étude heure par heure, tel camp domine plutôt que l’autre, et, en 1649, on a par exemple l’image d’un parlement triomphant et d’un souverain curieusement absent du jeu. Sur les quatre années de l’événement, on voit que le Parlement se retrouve de plus en plus « sur la touche ». Et, à l’échelle du règne de Louis XIV, le souverain apparaît comme l’homme qui a triomphé de la Fronde. L’interprétation du phénomène n’a donc pas le même sens à court, moyen ou long terme.
(1) L’échec, le temps et l’histoire, réflexions autour de la Fronde parlementaire bordelaise, 2006, Histoire, économie et société
(2) Période de troubles et de révoltes de certains parlementaires et nobles lorsque Louis XIV est encore un enfant