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Mémoires de machines

Laetitia Maison-Soulard, chercheuse au service du patrimoine et de l’inventaire de la région Nouvelle-Aquitaine, analyse les enjeux de la conservation du patrimoine scientifique et technique.
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© Wikimedia 

La beauté des statues antiques est incomparable. Les chefs-d’œuvre de Michel-Ange n’ont rien à envier aux sculptures de Rodin. Une machine à calculer du 18e siècle est au contraire bien désuète au regard de nos ordinateurs. Ni pratiques, ni véritablement esthétiques, quelle valeur auraient donc les anciennes machines ? L’exposition d’objets techniques accompagnés d’un cartel explicatif semble ainsi reléguée au passé de la muséographie. Les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) se sont développés sans collections patrimoniales.

Raconter une histoire

Pour Laetitia Maison-Soulard, « l’enjeu de la conservation du patrimoine est de s’inscrire sur le temps long, de retracer l’histoire de savoirs et de savoir-faire en constante évolution ». Cette histoire n’est pas celle d’un progrès et d’une efficacité toujours plus grande. « À toutes les époques, les sociétés ont su maîtriser leur environnement. Les objets scientifiques et techniques sont les témoins d’une même chaîne qui rend compte de la manière dont les hommes agissent sur le monde et parviennent à le comprendre. Connaître leur histoire, c’est aussi rappeler que nos prédécesseurs avaient des questionnements et des solutions tout aussi valables que les nôtres. » Le patrimoine scientifique et technique nous permet donc de sortir du rapport utilitaire à la machine pour apercevoir l’Homme et la société qui l’ont créée.

« Parler des machines du passé, c’est raconter une histoire. Quand on s’intéresse au patrimoine, on cherche l’histoire qu’il y a autour de l’objet. On se documente pour voir s’il a permis de faire des découvertes, s’il est techniquement unique dans la manière dont il est construit, si un grand savant s’en est servi, s’il appartient à un ensemble, à une collection. » Ce n’est pas l’objet lui-même qui fait sens, mais son contexte de création et d’utilisation, son histoire. Les critères de la conservation du patrimoine sont d’ordre épistémologique : ils permettent de comprendre la démarche scientifique propre à une époque, de dégager des invariants méthodologiques.

L’exposition, au musée des Confluences de Lyon, d’un accélérateur de particules Cockcroft-Walton datant de 1958 propose, selon la chercheuse, une telle mise en perspective historique. L’objet, mis en scène de manière esthétique, côtoie des céramiques africaines des années 1960, ses contemporaines. Des dispositifs pédagogiques – notice de l’accélérateur de particules, vidéo sur la conquête de l’infiniment petit et présence d’un médiateur scientifique – permettent d’interroger le lien entre les sciences et techniques des années 1960 et celles d’aujourd’hui. Faire apparaître l’humain derrière la machine, en mêlant musée d’idées à la manière des CCSTI et exposition d’objets, tel pourrait être l’avenir de la diffusion du patrimoine scientifique et technique.

Anne Coubray

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